Pied-Rouge
Entre asile et école, il n’y a qu’un Pied
Par Jennifer MAYEUR
Publié le 14 mars 2019
A force de se faire marcher sur les pieds, Pied Rouge n’a plus mis un pied dehors, et n’a plus les pieds sur Terre. Ce qu’il en ressort ? Un personnage enfermé et poétique, vivant de ses songes avec ses amis imaginaires. En rendant le public complice de sa folie, Perrine Rouland parvient à nous atteindre, nous émouvoir et nous faire rire à gorges déployées dans ce nouveau café théâtre lyonnais : le Rikiki.
Pied Rouge est un personnage burlesque, clownesque, et totalement fou. C’est une petite fille devenue femme qui s’est enfermée dans sa cabane loin des gens et du rejet des autres. Ils sont clairement plusieurs dans sa tête, et ce n’est pas toujours elle la chef ! Elle va recevoir une lettre d’amour qui va chambouler toute sa vie, et elle devra se faire violence pour sortir de la solitude qu’elle a construit comme rempart avec le monde réel.
Accompagnée sur scène par une petite bestiole, Pied Rouge va se livrer à nous. On la retrouve à une épreuve de philosophie désopilante, puis s’imaginant un mariage manqué, ou incarnant une comtesse méprisante, pour terminer en combatante japonaise, en lutte contre elle-même. Ses craintes, ses rêves, son imaginaire vont déborder et déverser sur leur passage un flot de rires et d’émotions.
On rencontre sur scène une gamine qui nous invite à jouer avec elle. Ce début participatif prend tout son sens lorsque l’on se rend compte que le public est partie prenante de son délire : nous n’existons pas. Elle nous emmène sur sa route déroutante, en nous racontant des bribes de sa vie et la difficulté qu’elle a à se sociabiliser.
A mi chemin entre folie et enfantillages, le rôle dessiné devant nous nous offre un panel de sentiments qui va du rire aux larmes, des cris au charme. On passe d’un univers à un autre dans un débit de paroles frénétique et bien articulé. Cette schizophrénie jubilatoire se traduit par des expressions du visage et du corps parfaitement bien maitrisées, et un rythme soutenu qui nous tient en haleine tout le long,
Cette comédienne attachante et talentueuse nous rappelle que pour être une femme aujourd’hui il faut à la fois du panache, de l’audace et du courage. On peut dire que si Pied Rouge n’a pas ces qualités, Perrine les a en quantité. Le personnage qu’elle a créé mène un combat face à lui-même. Et même sans être dans ce degré d’agoraphobie, cette peur de l’inconnu résonne en chaque individu. Il a bien fallu un jour abandonner son univers d’enfant et abandonner ses jouets d’antan pour grandir et entrer dans la vie adulte. Dans une excitation contagieuse, ce Pied-Rouge semble bien avoir tapé dans le mille en se faisant violence et en nous offrant un moment plus que touchant.
«J’envie son audace et sa liberté»
C’est le spectacle coup de coeur du Rikiki. Perrine Rouland interprète Pied Rouge, un clown moderne qui refuse de rentrer dans le moule.
«J’ai commencé le théâtre au collège, vers 14 ans, pour faire comme mes copines. Comme ça me plaisait et que je n’étais pas super douée à l’école, j’ai intégré le Conservatoire de Rennes avant de prendre des cours avec Jean-Laurent Cochet à Paris. Puis je me suis spécialisée dans le clown. Une discipline qui me parle, notamment l’expression corporelle. Mais une discipline compliquée car très intense, avec une présence exigeante sur scène… Tout repose sur la personnalité du clown et son état. Un clown est souvent drôle malgré lui. Il est aussi fantasque et libre. Il vit l’instant présent.
Il faut donc savoir lâcher prise, avoir de l’audace… Retourner à notre état sauvage. Des choses qu’on perd un peu en grandissant.
Dans ce spectacle, mon personnage s’appelle Pied Rouge. Elle a oublié son vrai nom. Elle se souvient juste qu’elle laissait beaucoup trop de monde lui marcher sur les pieds quand elle était petite. Devenue adulte, elle vit à l’écart de la société. Car elle est trop audacieuse pour être accepté. Par exemple, quand elle aime bien quelqu’un, elle peut aller jusqu’à le mordre, comme le ferait un bébé, sans agressivité. J’envie sa liberté, celle des enfants, des autistes, des marginaux… Des exclus qui n’ont pas envie de rentrer dans le moule.
J’ai envie de parler de ces gens là car plus on devient adulte, plus c’est difficile de s’affranchir de tous les codes car on se retrouve alors souvent seul. Je regrette que la société impose toutes ces contraintes. Dès l’école, on n’a pas le droit de rêver, on n’a pas le droit de colorier le ciel en violet parce qu’il est bleu… C’est terrible ! Je pense qu’on est nombreux à en souffrir. Etre artiste, pour moi, ça a été une soupape.
J’ai créée ce spectacle à Paris en août 2014. Depuis, je le joue régulièrement. Je le présente au Rikiki mais aussi au Festival des clowns fin avril à l’Instant T. Je joue aussi un spectacle pour enfants, «En route pour la lune», deux amies qui partent pour un incroyable voyage. Et je travaille sur la suite de «Pied Rouge» pour laquelle je serais en création à l’Espace Artaud à Lyon. On va retrouver ce personnage, en plein combat intérieur, qui va affronter tous ses monstres, exprimer son besoin de revanche, de pardon…
Pied Rouge, c’est un peu moi. Même si j’ai piqué beaucoup d’expressions à des enfants, des petites phrases de gens croisés dans la rue, des attitudes dans le métro… Des images et des mots qui me touchent. Je me suis aussi inspirée du vécu de mes proches, des histoires d’amour, des peines de coeur…»
Perrine Rouland
«Pied Rouge» écrit et interprété par Perrine Roulant. Durée : 1h15. Au Rikiki du 13 au 23 mars.
– lundi 11 mars 2019
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